20 mai 2015

Le 13 avril 2015, l’avant projet n°2015/25 relatif à la répression des atteintes contre les agents des forces armées a été soumis à l’Assemblée des Représentants du Peuple. A ce titre, l’organisation Al Bawsala rejette le projet de loi pour sa méconnaissance des fondamentaux du droit pénal, son non respect de toute logique juridique et du fait qu’il constitue une grave menace pour les droits et libertés fondamentales consacrés par la Constitution de janvier 2014.

Méconnaissance des fondamentaux du droit pénal:

Le projet de loi repose dans sa majeure partie sur une liste des infractions qui constituent des atteintes contre les agents des forces armées et qui visent leur personne, leurs biens ou les institutions et édifices sécuritaires et militaires.

Il apparait après simple lecture du code pénal que ces atteintes sont déjà incriminées et mentionnées dans le deuxième chapitre du livre deux portant attentats contre la sureté intérieure de l’Etat et par le chapitre IV portant attentats contre l’autorité publique commis par les particuliers. Et si le cadre existant était jugé insuffisant, Al Bawsala considère qu’il serait plus opportun d’amender le code mentionné ci-avant et d’alourdir les sanctions lorsque les atteintes ciblent les agents des forces armées.

Il est également pertinent de mentionner que l’Assemblée des Représentants du Peuple a d’ores et déjà entamé les débats autour du projet de loi de lutte contre le terrorisme et l’interdiction du blanchiment d’argent et que ce projet traite déjà des infractions ciblant les agents des forces armées en appliquant des peines plus lourdes que celles prévues par la législation pénale. Al Bawsala considère ainsi que le code pénal comme cadre de principe, et la loi sur la lutte contre le terrorisme en tant que seule exception, suffisent à réprimer les atteintes auxquelles les agents des forces armées risquent de faire face.

Le non respect de toute logique juridique:

L’analyse de ce projet fait état de nombreuses lacunes qui le rendent incohérent du point de vue de la logique juridique. A titre d’exemple et non de manière exhaustive, il est possible de citer:

  • Les articles 5 et 6 qui distinguent entre une personne disposant d’une habilitation et celle qui n’en dispose pas au moment de la commission de l’infraction de divulgation de secrets de défense nationale. Ces deux articles appliquent la même sanction ce qui rend la distinction obsolète,
  • Le projet de loi se veut plus sévère que le code pénal à l’encontre des infractions considérées comme menaçant “la stabilité de la société dans son ensemble”. Or, le code pénal réprime déjà ces infractions, et y applique en plus des sanctions qui sont plus lourdes que celles prévues par ce projet de loi. A titre d’exemple, la divulgation de secrets de défense nationale est sanctionnée par 10 ans de prison dans le projet de loi (articles 5 et 6) là où le code pénal y applique une sanction s’élevant jusqu’à 12 ans de prison si l’on considère que notre pays est officiellement en guerre contre le terrorisme (articles 61 et 62).
  • L’article 15 du projet sanctionne par 5 ans de prison toute personne qui menace de commettre un délit ou un crime contre un agent des forces armées. Si l’on considère que le droit commun applique une sanction maximale de 5 ans pour la commission d’un délit, il existe de fait un risque réel de se retrouver dans une situation où la menace serait plus lourdement sanctionnée que l’acte lui même.

Menace grave contre les droits et libertés:

L’esprit du projet de loi reflète une volonté délibérée de restreindre les droits et libertés, volonté qui atteint son apogée à l’article 12 : “Est puni de deux ans d’emprisonnement et d’une amende de dix mille dinars, quiconque dénigre délibérément les forces armées dans le but de nuire à la sécurité publique”.

L’absence totale de définition de la notion de “dénigrement”, qui apparait vague, opaque et absolue, laisse libre cours à l’interprétation et permet de restreindre la liberté d’expression garantie par l’article 31 de la Constitution étant donné que tout fait ou geste peut être qualifié de “dénigrement”, et ce de manière arbitraire. Par ailleurs, la peine prévue pour le crime de “dénigrement” est plus sévère que celle prévue pour le crime d’outrage à un fonctionnaire public énoncé par l’article 125 du Code Pénal qui a longtemps été -et continue à être- une épée de Damoclès suspendue au dessus de la tête du citoyen tunisien; et plus sévère même que la peine prévue pour le crime de voie de fait sur un fonctionnaire public (article 127 du Code Pénal).

Par conséquent, cet article est contraire aux dispositions de l’article 49 de la Constitution puisqu’il porte atteinte à l’essence d’une liberté fondamentale qui est la liberté d’expression, en plus d’être contraire aux principes de “la nécessité que demande un Etat civil démocratique” de “proportionnalité” inclus dans le même article.

Pour toutes ces raisons:

Al Bawsala insiste sur la nécessité d’abandonner définitivement le projet de loi de répression des atteintes contre les agents des forces armées, met en garde contre toute atteinte à l’intégrité du système juridique et appelle:

1.Tous les membres de l’Assemblée des Représentants du Peuple à manifester leur refus de tout texte juridique pouvant menacer l’Etat de Droit et les libertés individuelles et collectives et ce par un vote de principe contre ce projet au sein de la commission qui procèdera à son examen,

2.Le Gouvernement (et notamment les ministères de la Justice et de l’Intérieur) à porter plus d’attention aux détails et contenus des textes juridiques qu’il approuve et transmet à l’Assemblée des Représentants du Peuple et à s’opposer en amont à toute tentative de limitation des libertés de façon contraire aux dispositions de la Constitution, les conventions internationales ratifiées par l’Etat tunisien et à toute tentative d’atteinte à l’Etat de Droit

3.Le Gouvernement (et notamment les ministères de la Défense et de l’Intérieur) à mettre au point une stratégie claire et une politique cohérente pour garantir la sécurité et la stabilité sans atteinte à l’essence des droits et libertés individuelles et collectives garanties par la Constitution de Janvier 2014; et à éviter toute surenchère en la matière.

Al Bawsala insiste également sur la nécessité d’amender le Code Pénal pour l’harmoniser avec la nouvelle Constitution et la politique pénale qu’exigent un Etat de Droit et les standards minimums de démocratie.

Al Bawsala appelle enfin l’Assemblée des Représentants du Peuple, le Gouvernement et les organisations de la société civile à concentrer leurs efforts sur le projet de loi de lutte contre le terrorisme et être vigilants quant aux lacunes qu’il comporte et qui pourraient représenter une menace aux libertés individuelles et collectives.