14 janvier 2014

Tunisie : Améliorer les garanties relatives à l’indépendance de la Justice
Assurer au pouvoir judiciaire le pouvoir de protéger les droits humains

(Tunis, le 14 Janvier 2013) – Alors que l’Assemblée Nationale Constituante tunisienne a entamé la discussion du chapitre relatif au pouvoir juridictionnel dans la nouvelle Constitution, Al Bawsala, Amnesty International, Human Rights Watch et Le Centre Carter, appellent les élus à renforcer les garanties nécessaires à l’indépendance de la Justice.

Sous l’ancien régime du Président Zine El Abidine Ben Ali, le pouvoir judiciaire était subordonné à l’exécutif et manquait d’indépendance. Selon les quatre organisations, il est dès lors essentiel que la nouvelle constitution tunisienne garantisse pleinement l’indépendance et l’impartialité de la Justice.

« Les Tunisiens méritent une constitution qui contienne des garanties claires d’indépendance de la Justice », affirme Marion Volkmann, Directrice du Bureau de Tunis du Centre Carter. « La nouvelle constitution de la Tunisie devrait marquer un nouveau départ par rapport à un passé caractérisé par l’ingérence politique de l’exécutif, et accorder au pouvoir judiciaire l’autorité et l’indépendance nécessaires à la protection des droits humains ».

Al Bawsala, Amnesty International, Human Rights Watch et le Centre Carter ont suivi le processus constituant depuis son commencement en février 2012 et ont formulé des recommandations pour renforcer les droits humains et les libertés dans la constitution, notamment dans une déclaration conjointe du 3 janvier 2014.

Le projet de chapitre sur le pouvoir judiciaire contient plusieurs articles positifs qui tiennent compte des principes généraux relatifs à l’indépendance du pouvoir judiciaire. Par exemple, l’article 100 dispose : « La Justice est un pouvoir indépendant qui garantit l’instauration de la justice, la supériorité de la constitution, la souveraineté de la loi et la protection des droits et des libertés ». L’indépendance des juges est confirmée dans la mesure où ils ne sont soumis, dans l’exercice de leurs fonctions, qu’à l’autorité de la constitution et de la loi. L’article106 interdit toute ingérence dans le pouvoir judiciaire.

Les quatre organisations ont accueilli favorablement ces dispositions qui reflètent les normes internationales. A titre d’exemple, les Principes Fondamentaux des Nations Unis relatifs à l’Indépendance de la Magistrature exigent que les principes relatifs à l’indépendance de la magistrature soient énoncés dans la constitution du pays.

Toutefois, le projet de chapitre contient de garanties insuffisantes concernant le mandat des juges, en-deçà des normes internationales énoncées entre autres dans les Directives et Principes sur le Droit à un Procès Equitable en Afrique. Tout en interdisant la révocation des juges ou leur mutation sans leur consentement, le projet prévoit des exceptions « dans le respect des garanties prévues par la loi ». Une formulation qui pourrait être utilisée à mauvais escient par les pouvoirs exécutif et législatif et qui risquerait de compromettre l’essence même de cette protection.

Al Bawsala, Amnesty International, Human Rights Watch, et le Centre Carter recommandent donc que l’ANC énonce clairement dans l’article 104 que toute mesure disciplinaire contre un juge ne devrait être possible que pour faute grave, telle que déterminée par le Conseil Supérieur de la Magistrature et en respectant les garanties d’une procédure régulière.

Le projet de constitution prévoit à l’article 109 la création d’un Conseil Supérieur de la Magistrature avec un mandat qui « garantit le bon fonctionnement de la Justice et le respect de son indépendance. L’instance des Conseils juridictionnels propose les réformes et donne son avis sur les propositions et les projets de lois relatifs à la magistrature qui lui sont présentés obligatoirement. Les trois Conseils sont compétents pour statuer sur les questions relatives à la carrière et à la discipline des magistrats.”

La Commission des Consensus, chargée de parvenir à un large accord sur les questions constitutionnelles les plus controversées, a proposé un amendement qui porterait le nombre des juges de ce Conseil à deux tiers, “la majorité d’entre eux (étant) élus par leurs pairs et le reste nommé,” le tiers restant comprenant des personnalités à l’indépendance et à l’expertise démontrée.

Toutefois, cette formulation est loin d’assurer la pleine indépendance du pouvoir judiciaire et ce, à deux niveaux: tout d’abord, les juges élus par leurs pairs pourraient être une minorité au sein du Conseil, ce qui pourrait le laisser sous le contrôle de membres nommés par le pouvoir exécutif ou législatif. Plusieurs instruments internationaux recommandent que ces organismes aient une partie importante, voire une majorité de membres élus par le pouvoir judiciaire. Par exemple, la Charte Européenne de 1998 sur le statut des juges “prévoit l’intervention d’une autorité indépendante des pouvoirs exécutif et législatif dans laquelle au moins la moitié de ceux qui siègent sont des juges élus par leurs pairs suivant des modalités garantissant la représentation la plus large du pouvoir judiciaire.” Ensuite, l’amendement proposé n’indique pas comment les membres non juges devraient être choisis : nommés par le gouvernement, élus par le Parlement ou par toute autre procédure. Cela laisse une latitude excessive aux autorités gouvernementales en ce qui concerne les procédures de sélection et n’offre pas de garanties constitutionnelles suffisantes pour leur indépendance vis-à-vis des deux autres branches de l’Etat.

Al Bawsala, Amnesty International, Human Rights Watch et le Centre Carter recommande que l’ANC énonce à l’article 109 que la moitié au moins du Conseil Supérieur de la Magistrature soit composé de juges élus par leurs pairs. Ils recommandent en outre que la Constitution précise les procédures de nomination des juges et  veiller à ce que les non-juges sélectionnés bénéficient d’une large confiance et de légitimité et que toute nomination par le Parlement requiert au moins une majorité des deux tiers.

La constitution a également étendu les garanties d’indépendance au Ministère public qui “fait partie de l’appareil judiciaire et jouit des mêmes garanties”. L’article 112 exige des procureurs de «s’acquitter de leurs fonctions conformément à la politique pénale de l’Etat dans le respect des procédures prévues par la loi ». Les quatre organisations recommandent à l’ANC  de conserver cette formulation et de rejeter l’amendement qui  la change en « politique pénale gouvernementale »  ainsi que de préciser que cette politique doit être conforme aux droits et libertés garantis par la constitution et les normes internationales des droits humains.

Contexte:

L’ANC a commencé le vote sur la constitution en séance plénière le 3 janvier 2013. À ce jour, elle a terminé le vote sur le préambule,  les principes généraux, et les chapitres sur les droits et libertés et le régime politique.  Le vote article par article et la première lecture complète du projet de constitution sera la dernière étape du processus. Les règles de passage des articles exigent un vote séparé sur chaque article, avec une majorité simple requise pour le passage. L’assemblée doit ensuite approuver l’ensemble du projet dans un vote séparé. Si le projet échoue à la majorité des deux tiers, le projet sera soumis en deuxième lecture pour le vote à la même majorité recuise des deux tiers. Si la deuxième tentative échoue, le projet de constitution sera soumis à un référendum national.